Témoignage séditieux sur les sources de l’échec scolaire (2024)

1Des collègues, linguistes et psychologues «cognitivistes», cherchent à révéler les mystères de la «boite noire» des apprentis-lecteurs. Je leur suis reconnaissant. En effet, je souhaite depuis longtemps l’occurrence de tels travaux complémentaires des miens. Quant à moi, je poursuis mon exploration psychopédagogique sur le terrain des classes du Cycle des apprentissages fondamentaux afin de promouvoir l’efficacité de l’enseignement de la lecture-écriture et ainsi de réduire l’échec scolaire.

2Mon témoignage est «séditieux». En effet, si, dans la description des sources de l’échec social l’origine scolaire est de plus en plus reconnue, l’anachronisme de l’enseignement toujours quoique l’on dise frontal, expositif et simultané, ainsi que ses résultats indigents et élitistes demeurent pudiquement cachés. Hors de la «pensée pédagogique correcte», c’est à les dévoiler que je m’emploie.

3La langue orale est première et facile, la langue écrite une abstraction redoutable. Le passé de l’humanité le révèle : il y a sans doute beaucoup plus de cent mille ans que les hommes parlent, ils n’écrivent que depuis quelques milliers d’années. L’histoire d’un homme le révèle également : le petit d’homme parle dès l’âge de deux ans, il devra mûrir et acquérir longtemps avant de lire et écrire. L’enfant moyen de cinq ans est normalement illettré.

4Dans le cadre des langues écrites phonétiques, l’apprentissage de l’écrit se fonde légitimement sur la maîtrise de l’oral. Nos enfants sourds savent ce qu’il en coûte de devoir apprendre à lire une langue qu’on ne parle pas. Certes un Français qui sait lire et écrire perfectionne sa vie durant la maîtrise de sa langue, mais c’est d’apprendre à lire et à écrire qu’un Chinois n’a jamais fini, car le chinois écrit n’est la transcription d’aucune des langues chinoises.

5Certes, il existe des irrégularités dans la transcription de la langue, différemment d’ailleurs selon les langues : plus en anglais qu’en français, plus en français qu’en espagnol. En serbo-croate, chaque phonème se transcrit par un graphème, mais en français, nombreux sont les phonèmes dont la transcription est multiple (exemple /o/) et plusieurs graphèmes («g» par exemple) transcrivent deux ou plusieurs phonèmes chacun.

6De toute façon, au niveau des débuts de l’apprentissage, quelle que soit la langue, la découverte par un enfant de six ans d’une relation phonème-graphème ne va pas de soi. Il lui faut, Ô Piaget, maîtriser la «notion de conservation», ici, la saisie de ce qui s’entend et se voit «pareil» dans des contextes (des mots écrits) différents et pour des objets autrement abstraits que la substance des boulettes de pâte à modeler.

7Malgré tout, il ne s’agit entre les langues que d’une différence quantitative, ce pourquoi les enfants de Madrid et de Belgrade n’apprennent pas à lire plus facilement que ceux de Paris.

8C’est entendu, on n’écrit pas comme on parle. Pourtant, au niveau de l’acquisition qui nous préoccupe, il n’y a que des avantages à valoriser le fait que la langue écrite soit une transposition de la langue orale. Aussi, compte tenu de la fréquence des échecs qu’il provoque, l’apprentissage de la lecture est assez redoutable pour qu’on n’ajoute pas inutilement à ses difficultés. A ses débuts, plutôt que de se fier au hasard des rencontres, il revient à la pédagogie de ne se référer qu’à des matériaux d’études écrits qui transcrivent aussi régulièrement et sobrement que possible l’oral correspondant. Notamment, on doit alors faire l’économie des mots qui ne s’acquièrent que pour eux-mêmes, par exemple les mots «doigts, femme, monsieur, riz» et qui donc ne peuvent pas servir à apprendre à lire en dépit de leur fréquence. Il n’est pas urgent de savoir écrire les mots qui ne s’écrivent pas comme ils se prononcent1 sans compter que les ratés lors d’une première production écrite d’un mot sont particulièrement tenaces2.

9La maîtrise des irrégularités dans la transcription ne perd rien pour attendre. Elle fera en son temps l’objet de l’acquisition de l’orthographe d’usage. Nous distinguons en effet l’orthographe phonétique qui corrobore la connaissance de la combinatoire et relève du savoir lire et l’orthographe d’usage qui s’acquiert peu à peu avec la maîtrise de la langue, notamment à travers la pratique de lectures orthographiées abondantes et goûtées.

10Dans les sciences dites exactes, que demande-t-on à une définition? D’épuiser son objet, d’être vraie ? Pas du tout. Une définition perd en précision ce qu’elle gagne en extension. Dans tous les domaines, une définition n’admet-elle pas, à côté, l’énoncé des propriétés de son objet et l’existence de définitions voisines ? Quant à la véracité d’une définition, elle n’a pas de sens. On sait que la longueur du mètre n’est pas exactement la dix millionième partie du quart du méridien, elle n’en demeure pas moins universellement reconnue comme la longueur du mètre étalon. Ce qu’on demande à une définition c’est d’être précise, fidèle et finalement féconde3.

11D’un point de vue pratique, lire, c’est accéder à la pensée confiée à un écrit4 . Mais, ajoutons une condition : sans audition préalable de la lecture de cet écrit. En effet, en cas d’audition préalable, la pensée confiée au texte est déjà dans la tête du sujet avant sa confrontation avec l’écrit. Dès lors, selon notre définition, il ne s’agit plus pour lui de lire. Autant dire que dans une Grande Section (GS) ou un Cours préparatoire (CP) un élève ne lit pratiquement jamais, il ne fait que répéter ce qu’il vient d’entendre lire, notamment par le maître, ou déjà relire, par tel ou tel élève.

12Peu à peu, l’activité analytico-synthétique de l’apprenant laisse la place, chez le lecteur accompli, à la reconnaissance instantanée d’écrits ou à leur production manuelle sous le contrôle visuel des images mentales correspondantes. Comme pour la lecture en effet, c’est graduellement que l’écriture de chaque mot ou expression passe dans le stock des faciès familiers. Le passage dépend, pour chaque mot ou expression, de la fréquence de ses rencontres antérieures. A force d’avoir été rencontrés ou produits, ils sont saisis, instantanément, comme des objets ou des êtres familiers qu’on reconnaît au premier coup d’œil.

13Il est bien connu que ce passage n’est jamais terminé : il arrive à chacun de nous de rencontrer un mot (nom propre, terme technique, etc) pour la saisie duquel nous devons mettre en œuvre notre maîtrise de la combinatoire, sans pour autant être toujours certain (en français) d’accéder à sa forme orale exacte, exemples : «solennel, de Broglie».

14Une idée est moins partagée : on ne saurait en toute rigueur déduire de l’activité lexique automatisée «visuo-idéatrice» du lecteur accompli ce qu’il en est chez l’enfant apprenant à lire5. La littérature spécialisée actuelle, souvent d’inspiration anglo-saxonne, ne s’attarde pas sur les modalités d’apprentissage. En revanche, elle fait grand cas de «l’identification des mots» dans la lecture (sans se préoccuper des modalités de l’action scolaire qui a préparé cette identification).

15Or, dans la perspective présentement la plus pratiquée en France qui comporte une première phase d’observation d’écrits signifiants, la distinction de deux sortes de mots devrait s’imposer: ceux qui ont été proposés et «photographiés» et sont devenus des matériaux disponibles pour les confrontations et les analyses en vue de la découverte des invariants phonème(s)-graphème(s) et ceux qui n’ont encore jamais été rencontrés : les premiers sont reconnus d’emblée, à la manière des lecteurs accomplis pour la plupart des mots, comme des images abstraites familières, la saisie des autres dépend de la mise en œuvre par l’apprenti des éléments du code qu’il a déjà acquis.

16Par suite, un mot «nouveau» a plus de chance d’être identifié rapidement et justement si l’apprenti peut le construire à partir d’éléments qu’il a découverts lui-même, d’autant plus que ces éléments, extraits vivants si j’ose dire des mots-matériaux d’analyse, ne sont pas alors nécessairement élémentaires, mais aussi amples que possible et par suite plus fonctionnels.

17Ainsi, les études de laboratoire ne devraient plus négliger la pédagogie de l’apprentissage dont l’apprenant a bénéficié. Or, la connaissance de cette pédagogie implique une observation dédaignée, l’observation éclairée du terrain.

18Nous chercherons à discuter les autres définitions en suivant les phases de l’accès au savoir lire : être prêt à apprendre à lire, se préparer à apprendre à lire, apprendre à lire, savoir lire (étant entendu qu’ici «lire» sous-entend «écrire») et sans perdre de vue le modèle des sciences exactes.

19Nul ne marche sur le vide. Le petit d’homme ne sait rien d’instinct. Chacune de ses acquisitions nouvelles dépend de savoirs qu’il a déjà acquis, d’outils cognitifs qu’il s’est déjà forgés et aussi de vouloirs qui dépendent du plaisir inhérent à ses acquisitions antérieures.

20A la suite des Québécois, nous appelons volontiers «pré-requis» ces ressources qui constituent l’aptitude à apprendre à lire, sans rien préjuger de leur origine première naturelle ou culturelle. A son tour, le savoir lire devient un pré-requis en vue de tous les apprentissages scolaires ultérieurs.

21Parmi les constituants de l’aptitude à apprendre à lire, l’équipement sensoriel n’est pas tellement décisif. Les enfants amblyopes acquièrent la lecture comme les autres enfants pour peu qu’on se préoccupe de la qualité de l’éclairage, de l’encrage et du papier, de la sobriété des caractères typographiques, etc. Même, on renonce aux gros caractères dont l’usage compromet la saisie d’ensembles suffisamment amples pour permettre une synthèse en une fixation du regard (l’angle de vision nette est de toute façon limité à environ quatre degrés).

22«L’œil normal, et même l’œil qui présente de légers défauts d’optique corrigés, sont plus qu’adéquats pour les besoins de la lecture... La vitesse de lecture est déterminée par la facilité avec laquelle la signification est saisie plutôt que par des facteurs périphériques»6. Même chez les aveugles de naissance les difficultés ne constituent qu’»un simple retard d’acquisition»7. Quant à la motilité oculaire « il n’y a pas de corrélation entre l’apprentissage difficile de la lecture et la mauvaise praxie oculaire»8.

23Certes, la déficience auditive est plus handicapante parce qu’elle fait obstacle à l’acquisition du langage. «Le niveau de lecture d’adolescents sourds en âge de quitter l’école secondaire équivaut à celui d’enfants entendant d’environ neuf ans»9. Ce constat ne surprend pas dès que l’on comprend qu’apprendre à lire c’est acquérir les modalités de transcription de la langue, laquelle est orale et dont les sourds sont privés (alors même qu’on ne s’applique pas à leur faire acquérir très tôt une langue de remplacement, la langue des signes).

24Bref, les facteurs personnels qui fondent et facilitent chez tout apprenant son apprentissage de la lecture relèvent essentiellement de son équipement cognitif.

25Avec ses dix épreuves, la BP constitue un inventaire des ressources cognitives impliquées dans l’apprentissage de la lecture-écriture. Elle évalue pour chaque enfant, quel que soit son âge réel, l’opportunité de cet apprentissage. Les performances qu’un enfant y obtient annoncent la facilité ou la difficulté qu’il va rencontrer dans cet apprentissage. La BP suggère en outre des arguments à faire valoir auprès des parents qui s’imaginent qu’on peut enseigner n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe quand.

26Avant d’aborder la préparation de l’apprentissage de la lecture, le développement scolaire des «pré-requis», rappelons la nature des épreuves de la BP. Pour son usage pratique, leur contenu est rassemblé dans un petit livret destiné à l’enfant dont il s’agit d’évaluer les ressources.

27Leur administration peut être collective :
FG: Copie de figures géométriques (carré, losange…).
MD: Mémoire de dessins : reconnaître parmi d’autres des dessins vus puis cachés.
DV: Discrimination visuelle : différencier des dessins abstraits de formes voisines.
RC: Rythme-copie : reproduire des structures rythmiques.
CL: Compréhension du langage : repérer parmi d’autres une image selon sa description orale.
D Ph: Discrimination phonologique : repérer à l’écoute un phonème commun à des mots suggérés par des dessins et désapprouver l’intrus.

28AP: Articulation-Parole : répéter des mots de plus en plus difficiles à prononcer.
LE: Langage-expression : dire à l’opérateur ce qu’il faut faire pour compléter, à l’aide d’étiquettes illustrées, un tableau lacunaire.
Deux épreuves dont la réponse est psychom*otrice
RR: Rythme-répétition : reproduire par percussion une structure rythmique donnée de même.
C: Cubes : construire des compositions géométriques avec quatre cubes (de Kohs).

29Nous venons de mettre au point expérimentalement une forme abrégée de la BP. Elle regroupe les quatre épreuves les plus prédictives et dont par chance l’application peut être collective : (FG, DV, RC, DPh). Désormais, avec la BPA, il est facile au maître de structurer sa classe afin de pratiquer une pédagogie réellement «différenciée», de constituer dès le début de l’année scolaire des équipes de travail, chaque équipe regroupant les enfants les plus voisins dans leurs ressources cognitives pour apprendre à lire.
Cette batterie ne supprime pas le recours à la BP intégrale nécessaire à l’examen clinique.

30Les enseignants français ont le choix de leurs méthodes pédagogiques. Dès la maternelle, en matière de préparation à l’apprentissage du langage écrit, deux conceptions coexistent : l’une se fonde sur l’imprégnation, le «grand bain d’écrit», l’autre recourt à l’aide méthodique au développement des différents constituants cognitifs (dont la BP propose un inventaire).

La plongée précoce et collective dans un «grand bain d’écrits»

31Certes, voyant ses parents lire, faisant semblant de lire au cours d’imitations actives, l’enfant découvre la vocation de la lecture, ce que c’est que lire et prend envie de maîtriser le pouvoir qu’apporte le savoir lire.

32A l’école maternelle, la pratique majoritaire vise à attirer les enfants vers l’écrit et le livre. Comment ? Ne suffit-il pas de les plonger assez tôt dans un bain d’écrits abondants et variés ?

33Or, la confiance dans l’imprégnation qui à bon compte cherche à se justifier «on apprend à lire comme on a appris à parler» n’est nullement fondée. Les situations ne sont nullement comparables: d’un côté le cocon familial, chaleureux, sur mesure et de longue durée, de l’autre le collectif-classe aux séjours minutés et compétitifs.

34Jusqu’alors, les praticiens de cette procédure qui est majoritaire ne voient guère que la plupart de leurs élèves se noient dans le flou des données perceptives que la plongée prématurée dans l’écrit provoque. Sous la pression des professionnels du livre, on développe les bibliothèques de classe, d’école, de quartier. On demande aux parents de lire chaque soir une histoire à leur enfant.

35En dépit du temps important consacré à cette fréquentation des écrits, les résultats moyens ne dépassent guère la saisie de ce que c’est que lire et l’envie d’apprendre à lire. Certes, cette saisie et cette envie ne sont pas négligeables ; mais de nos jours, compte tenu de l’abondance des écrits dans l’environnement de tout enfant, elles sont tôt et vite acquises et ne justifient pas le temps qu’on y passe en classe. A la sortie du «grand bain», les enfants ne savent pas lire. L’envie d’apprendre à lire n’apprend pas à lire. Même, si elle ne débouche pas sur des acquis positifs journaliers, elle s’éteint comme feu de paille et laisse des traces négatives, de l’amertume et de la rancune. Beaucoup d’élèves des maternelles françaises s’y «vaccinent» contre l’écrit.

36Ne nous trompons pas sur la genèse de la motivation de l’écolier : ce qui motive tout écolier, c’est le plaisir de la réussite immédiate perçue avec lucidité et qui induit l’espérance de prochaines réussites.

37Finalement, quel adolescent et quel adulte fréquenteront les bibliothèques dont l’école fait tant de cas ? Ceux qui auront souffert de leur rencontre scolaire de l’écrit ? Sûrement pas. Il y a beaucoup mieux à faire : développer les composantes instrumentales de l’aptitude à apprendre à lire propre à chaque enfant, ses outils cognitifs qui vont être sollicités tout au long de son prochain apprentissage de la lecture-écriture.

Le développement méthodique des pré-requis

38L’école, dès la Maternelle, n’a pas à reproduire le chaos du monde extérieur. Il lui revient de filtrer les données de la maison et de la rue, de connaître les caractéristiques de chaque apprenant si différent de l’un à l’autre et de s’adapter à tous. Il s’agit au moins de jouer sur le temps de chacun, rapide ou lent, afin d’assurer en permanence le plein emploi de ses possibilités d’acquisition.

39Admettons que le «grand bain d’écrits» amène certains enfants, privilégiés par la nature et/ou par la société, à reconnaître quelques mots, voire quelques lettres, même mal désignées (bé, cé, ka, ku, igrec, zèd…). Le problème est de savoir quel est le prix et quel est le profit de ces acquisitions. Le temps passé à ces acquisitions n’aurait-il pas été plus gratifiant et plus fécond s’il avait été consacré, sans aucun recours à de l’écrit, à développer «l’analyse de l’écoute de la parole» à laquelle nous consacrons depuis longtemps une bonne partie des «activités préalables» de notre ensemble «2as»12.

40Si beaucoup de praticiennes de maternelle plongent leurs élèves dans le «grand bain d’écrits», c’est, de l’aveu des plus lucides, parce qu’elles n’ont pas mieux à faire. En effet, en dépit de leurs armoires pleines de matériels, elles ne sont pas équipées pour animer des activités coordonnées, progressives, dépourvues d’écrits, ajustées aux possibilités de chaque élève, plus motivantes et rentables que les activités ambitieuses mais isolées et fortuites qu’elles proposent habituellement.

41Dans le cadre de l’enseignement collectif, plus que centenaire et universellement répandu, l’entraînement fort utile aux «discriminations phonologiques» ne peut se pratiquer valablement. Soit un problème posé aux enfants, par exemple, le repérage d’un phonème commun sans aucun recours à de l’écrit, exemple: «qu’est-ce qu’on entend pareil dans ces deux mots, citron, melon»? On ne peut empêcher l’élève rapide de révéler la réponse et de priver ainsi ses camarades du plaisir de trouver et très vite de l’effort de chercher. Certains ne comprennent pas même ce qu’il convient de chercher dans cette interrogation métalangagière.

42Déjà, la didactique réclame de pratiquer les moyens d’amener chaque élève au sein du collectif-classe à construire ses savoirs par découverte. Dès la maternelle, l’enfant lent n’a-t-il pas autant besoin que le rapide de comprendre par lui-même et de découvrir?

43Certes, à travers la pratique des «ateliers», certaines Grandes Sections tentent de faire une place à une préparation instrumentale. Mais, alors que l’organisation et la conduite de ces ateliers sont lourdes au praticien, il ne peut assurer un entraînement efficace faute de disposer d’un équipement susceptible de s’ajuster aux possibilités de chaque élève, de gérer l’hétérogénéité du collectif-classe. Sans compter que, constitué au hasard, chaque groupe-atelier comprend des enfants dont les besoins particuliers sont étrangers à cet atelier, mais qui s’y complaisent à répéter ce qu’ils réussissent, sans évidemment se soucier d’harmoniser leurs ressources cognitives.

44A partir d’informations issues d’un test aussi éclairantes soient-elles, l’élaboration d’un ensemble d’activités aux contenus formateurs ne va pas de soi. Le psychologue, qui s’est quelquefois essayé à aider un maître à produire des exercices pédagogiques à partir d’une indication de test, a sans doute pris la mesure de la difficulté du problème. A fortiori, cette élaboration est hors des possibilités de création, d’expérimentation et de mise œuvre d’un praticien normalement chargé d’une classe, aussi ingénieux et consciencieux soit-il.

45Nous terminerons ce «témoignage séditieux», en évoquant notre production personnelle, le volumineux ensemble didactique personnalisable que nous proposons (2as). Il permet, au sein de la GS et du CP, une pédagogie respectueuse du temps de chaque enfant. Inspiré des contenus de la Batterie Prédictive, son sous-ensemble des «activités préalables» développe de façon progressive et coordonnée la représentation de l’espace et du temps, la fonction symbolique, le graphisme de l’écriture et tout particulièrement l’analyse de l’écoute de la parole13.

46Apprendre à lire (pour un enfant qui sait parler) c’est découvrir comment s’écrit ce qu’il entend dire et sait dire lui-même, c’est acquérir la maîtrise des modalités de la transcription de sa langue.

47Cet apprentissage devrait commencer pour chacun dès que, mais seulement quand, il est apte à apprendre à lire, notamment à l’issue du développement de ses ressources cognitives corrélatives, dans notre perspective plus ou moins tôt au cours de son année de GS. Nous considérons qu’il se termine, plus ou moins tard au cours du CP, lorsqu’il accède au seuil du savoir lire ce qui l’introduit aux apprentissages scolaires suivants, notamment à la poursuite de la maîtrise de sa langue.

48Le moment venu, aider les enfants à transformer leur aptitude en compétence, est une entreprise assez difficile et urgente pour qu’elle ne soit pas entravée par les effets d’ambitions inopportunes. Les auteurs de manuels, qui prétendent «profiter» de l’apprentissage de la lecture pour faire acquérir aux apprentis lecteurs des mots nouveaux à partir de leur forme écrite, compromettent l’apprentissage de la lecture. Les propagandistes du recours à l’écriture «attachée» dès les débuts de l’apprentissage se trompent également. Ils rejettent à tort l’écriture «bâton» (de l’imprimé) non seulement plus facile à percevoir et à produire mais encore semblable à l’écriture des livres et des écrits extra-scolaires et par suite support du renforcement fortuit de l’environnement.

49La vieille opposition des aspects théoriques des méthodes s’est évanouie et avec elle le souci même de méthode, au profit de slogans tels que «toutes les méthodes se valent», «on apprend à lire en lisant». Pourtant, la querelle traditionnelle demeure intéressante, surtout si on la ramène à cette question : «faut-il donner aux élèves les clés du savoir lire (les éléments de la combinatoire) ou les amener à les construire eux-mêmes ?»14.

La démarche synthétique

50Chacun sait que la «méthode synthétique» (dite aussi «alphabétique» ou «syllabique» si on s’en tient aux segmentations du matériel linguistique de base) est la plus ancienne et présentement la plus utilisée dans le monde (dans le cadre des langues à écriture phonétique évidemment). On révèle aux enfants la graphie d’une lettre et son nom puis l’oralité de son groupement avec les lettres acquises précédemment.

La démarche synthétique soulève de nombreuses critiques d’ordre pédagogique : une coulée passive d’informations

51Théoriquement, tout est donné à l’apprenant qui n’a qu’à recevoir, appliquer et retenir. Dans ces dons réside une cause de l’indigence de la démarche: la bonne pédagogie en effet ne «souffle» pas, ne donne pas de règles à appliquer, mais amène l’apprenant à les construire à partir d’observations bien conduites par l’enseignant. Quant à la connaissance de l’alphabet, elle n’est utile que pour l’usage du dictionnaire qui peut attendre quelques mois qu’elle soit le fruit de la découverte de la combinatoire, un résultat de l’apprentissage de la lecture et non sa condition.

Une désignation anti-fonctionnelle des lettres

52Alors que la procédure (gestuelle) qu’elle préconisait relevait de la démarche synthétique, S. Borel-Maisonny recommandait fort justement de ne désigner les lettres lors de l’apprentissage que par la valeur phonétique qu’elles assument dans les mots. Cette recommandation n’a malheureusem*nt pas connu de généralisation. Rappelons que les parents tout d’abord, puis nombre de maîtres, croient utile de révéler aux enfants le nom des lettres et les leur désignent fâcheusem*nt comme nous adultes les nommons sans se rendre compte que cela constitue, le moment venu, un obstacle redoutable à la saisie des relations phonème(s)-graphème(s).

53Redisons aussi que la correspondance «graphème-phonème» évoque des faits de lecture, alors que l’apprentissage, légitimement fondé à partir de la pratique de l’oral, consiste à acquérir la maîtrise des relations inverses. Même si des auteurs contemporains évoquent parfois le sens phonème-graphème c’est pour caractériser l’acte d’écrire: leurs propos escamotent rien moins que l’apprentissage.

54Enfin, la démarche qui se fonde sur des éléments abstraits dépourvus de signification (les lettres) génère des difficultés particulières jusque dans la fameuse «identification des mots dans la lecture» : la pluralité des fonctions d’un certain graphème, amène l’apprenant à buter sur la saisie d’un mot, même simple, qu’il rencontre pour la première fois. Un exemple entre mille : rencontrant «l’école», il risque d’énoncer le fréquent /o/ fermé, ce qui ne l’éclaire pas.

La conscience phonologique, un prérequis ou un acquis de l’apprentissage de la lecture ?

55Un autre problème, que la «littérature» actuelle réserve à la démarche synthétique, est actuellement monté en épingle. A ma connaissance sans fondement expérimental, des auteurs «pensent que la conscience phonémique ne saurait être un prérequis pour l’apprentissage de la lecture, mais apparaît lorsqu’on apprend à lire»15.

56Or, déjà évoquée, l’épreuve la plus prédictive de notre BP que nous appelons depuis longtemps : «discrimination phonologique» est justement relative à l’identification et à la localisation de phonèmes communs à plusieurs mots. Nous venons de confirmer expérimentalement16 qu’en dehors de tout entraînement scolaire, cette épreuve révèle une grande dispersion des performances chez les enfants de six ans dans l’année, en fin de GS. Certains élèves qui, sauf accident apprendront facilement à lire, réussissent spontanément à ces épreuves de «conscience phonétique» dont la vocation de pré-requis, indices de corrélation avec la BL à l’appui, est ainsi démontrée en dépit des affirmations contraires.

57Nous ne contestons pas cependant que l’apprentissage développe en retour la conscience phonologique, mais l’influence qu’il importe de généraliser parce qu’utile, n’est-ce pas l’apport précoce et fécond de celle-ci (la conscience phonologique) à celui-là (l’apprentissage de la lecture) ?

58De toute façon, la maîtrise des discriminations phonologiques est tout particulièrement féconde avec la démarche analytique puisque, comme nous allons le voir, cette procédure vise la découverte par l’apprenant du code de transcription des phonèmes de sa langue. Il importe donc que ces phonèmes soient tout d’abord bien identifiés.

La démarche analytique («globale» ou «naturelle»)

L’origine de la démarche

59Son rejet quasi unanime mérite d’être discuté. Dans la perspective initiée par Nicolas Adam précepteur (1787), initiateur de la démarche «globale» que toutefois il ne nomme pas17, les premiers mots écrits, signifiants, proposés à l’élève sont privilégiés en cela qu’ils ne vont pas seulement être fixés pour eux-mêmes mais vont servir à apprendre à lire. Ce sont des mots choisis, familiers, courts et sobres d’écriture. A petite dose, l’apprenti-lecteur est amené à les fixer en mémoire. Véritables objets de connaissance, ils supporteront les confrontations et les analyses assurant la découverte des éléments de la combinatoire dont la maîtrise est tout autre chose en français, tout d’abord par leur nombre, que la connaissance de l’alphabet.

60Théoriquement, cette démarche présente un progrès psychologique considérable: l’apprenant devient acteur, découvreur des clés du savoir lire. Ainsi, parce que découverts et non soufflés, les invariants phonème(s)-graphème(s), objets et agents de découverte, seront plus féconds aux enfants en vue de la synthèse des nouveaux mots qu’ils vont rencontrer et produire que lorsqu’ils ne font que les recevoir tout faits. Rappelons que l’adaptation (au sens de Piaget) réclame assimilation mais aussi accommodation. Une nourriture mentale prédigérée, directement assimilable, qui dispense l’apprenant d’accommoder, ne l’entraîne guère aux assimilations ultérieures.

La pratique trahit la théorie

61Nicolas Adam n’avait qu’un élève à la fois. Plus près de nous, Decroly et Freinet ont tenté d’introduire la «méthode globale» dans les classes, en vain. L’obstacle est toujours présent : la démarche analytique est fondée sur la découverte et nul ne découvre sur commande, ni comme ni en même temps que son voisin. La méthode de Nicolas Adam précepteur n’est possible qu’avec un découvreur à la fois à moins qu’elle soit mise en œuvre au sein d’une classe qui fonctionne selon une pédagogie réellement personnalisée, objectif qu’inlassablement nous avons rendu accessible18.

62- Sa pratique actuelle dans les classes est pourtant bien plus fréquente qu’on le dit.

63L’idée force selon laquelle on ne peut pas accuser la «méthode globale» des rendements indigents actuels parce qu’elle ne serait pratiquement pas pratiquée, n’est pas fondée. Les Grandes Sections actuelles ne font pas autre chose et, par contagion, de plus en plus de CP. La méthode globale» se répand, il est vrai, sous le nom de «méthode naturelle» comme pour évacuer les accusations portées contre elle.

64Sujette à la mode du libéralisme sauvage, la pratique actuelle de la «méthode naturelle» ne saurait lever ces accusations. En fait, elle renonce même à son objectif légitime qui est la découverte du code de la transcription de la langue à travers confrontations et analyses d’écrits signifiants et «photographiés». C’est qu’analyser n’est pas une affaire de ciseaux. Analyser les deux mots «papa» et «maman», c’est prendre conscience que les deux «a» recèlent une similitude mais aussi une différence: que le deuxième «a» de «maman» n’est pas un «a» mais un élément de «an».

65Nous avons expérimentalement montré que tant qu’un enfant ne sait pas écrire sans modèle les mots qu’il cherche à comparer, tout traitement analytique est improductif19. Evidemment cette mémorisation fidèle d’écrits fonctionnels est incompatible avec la plongée à la mode dans une profusion d’écrits.

La mode de la profusion d’écrits fortuits, la déviance majeure

66La pratique actuelle de la «méthode naturelle» n’assure pas chez les apprenants les conditions de la découverte de la combinatoire. En effet, la succession des contenus d’étude y relève de la profusion et du hasard. C’est que la référence à l’actualité, au «vécu commun», ignore tout de la progressivité des difficultés de l’apprentissage Elle condamne l’enseignant à l’improvisation permanente et exclut de sa part toute production de matériels didactiques élaborés, de jeux coordonnés notamment. Quant à la profusion des écrits initiés à la maternelle, elle est stérile en dépit de ses apparences séduisantes car elle introduit le flou dans la perception des enfants à l’égard des écrits, flou qui exclut toute possibilité d’analyse.

67En outre, cette profusion exclut aussi évidemment la prise en charge des différences entre les élèves. Dans chaque classe une poignée d’élèves «découvreurs» s’en tire. Les autres, sont plus que jamais noyés dans le «grand bain d’écrits». La procédure est élitiste.

68Les mois passant d’un apprentissage à la chinoise, mot après mot indéfiniment comme s’il s’agissait d’idéogrammes, le maître, en désespoir de cause, se trouve dans l’obligation de revenir au «b a ba», c’est-à-dire de révéler par soufflage les invariants que théoriquement il se proposait d’amener les enfants à découvrir.

La démarche mixte

69Théoriquement, «censée associer les activités d’analyse et les activités de synthèse, la méthode synthétique n’exclut pas plus l’analyse que la méthode globale n’exclut la synthèse : elle privilégie la synthèse... Et, si sa concurrente peut légitimement être considérée comme analytique, c’est qu'elle ne procède jamais à une synthèse sans avoir effectué, au préalable, l’analyse corrélative.

70Dans la perspective de la «querelle des méthodes» deux voies s’offrent aux maîtres, l’une dans laquelle la synthèse précède l’analyse et l’autre dans laquelle l’analyse précède la synthèse : les méthodes mixtes n’existent pas en théorie»20.

71Rappelons tout d’abord, en référence à notre Batterie de Lecture (BL), ce que nous entendons par le «seuil du savoir lire», premier niveau de savoir lire.

La Batterie de lecture21

72Cette batterie comprend trois épreuves qui, ensemble, explorent les principaux aspects de la compétence en lecture-écriture en fin de CP :
compréhension de la lecture silencieuse,
lecture à voix haute d’un texte simple,
écriture orthographiée d’un petit texte (maîtrise de la combinatoire).

73Etalonnée, la BL évalue le niveau global et analyse la compétence de tout lecteur débutant. Elle objective les échanges entre praticiens et entre praticiens et chercheurs relatifs aux faits de lecture, à ce qu’est lire, aux procédures pédagogiques, aux performances des élèves. Elle contrôle les prédictions et établit ainsi la validité de la BP. Elle fonde en outre une définition expérimentale, précise et fidèle: le «seuil du savoir lire».

Origine de la définition du «seuil du savoir lire»

74La définition répond à la question : «à partir de quelle performance peut-on déclarer qu’un enfant sait lire»?

75A l’occasion de chaque étalonnage, nous avons invité les maîtres à classer leurs élèves (sans rien savoir des résultats des tests) du point de vue de leur compétence en lecture-écriture et à indiquer dans le classem*nt le dernier des élèves qu’ils considéraient comme «sachant lire».

76Ainsi, notre «seuil du savoir lire» n’est autre que le chiffrage moyen des performances de ces élèves limites. A l’origine, alors que la BL comportait quatre épreuves, il correspondait au Total Pondéré (TP) de 38 points.

Son évolution

77Ce chiffrage moyen a naturellement changé du fait des révisions successives. En 1983, avec la réduction de la BL à trois épreuves, ce TP est devenu 25 points. Enfin, alors qu’avec la version 2000, les échelles normalisées en neuf classes ont été substituées à la pondération de type Wechsler et au décalage utilisés précédemment, le TP «seuil du savoir lire» est désormais de 11 points. Il exprime toujours cependant le clivage estimé par les praticiens de CP et qui distingue ceux de leurs élèves qui, l’année durant, n’ont pas réussi à apprendre à lire. Ainsi, c’est de leur aveu même, que nous pouvons dire que 33% de leurs élèves ne savent pas lire.

78Le recueil des données expérimentales pour la révision 2000 a été l’occasion d’étudier le rendement, au niveau de l’apprentissage de la lecture, de l’enseignement actuel qui, en dépit de la nécessité sur laquelle tout le monde s’accorde de pratiquer une «pédagogie différenciée», demeure frontal, expositif et simultané. En outre l’hétérogénéité des classes n’a jamais été aussi grande et dès la maternelle, en dépit de l’égalité des âges réels qui n’est qu’un alibi de la volonté d’égalisation.

79Présentement, la pratique scolaire se passe des possibilités d’évaluation et d’analyse offertes notamment par notre Batterie Prédictive : ainsi, tout enfant de 6 ans (plus ou moins 6 mois) quitte fin juin la Grande Section de maternelle. Cognitivement équipé pour apprendre à lire ou non, il entrera en septembre au cours préparatoire théâtre de l’apprentissage fondamental de la lecture-écriture pour le malheur prévisible d’un sur quatre, voire d’un sur trois d’entre eux.

80La GS répugnerait dit-on à recourir aux tests. Quoi qu’il en soit, elle conserve pour servir de «locomotives» environ 20% des enfants qui seraient susceptibles de s’engager précocement et pourtant avec gratification au CP dans l’apprentissage de la lecture. En revanche, elle envoie à l’échec prévisible environ 20% d’enfants immatures.

81L’année durant, les «locomotives» cautionnent en GS la présentation d’écrits prématurée pour la plupart des élèves de même âge et, bien entendu, elles jouent leur rôle: elles traînent des «wagons» passifs. Quant aux enfants immatures engagés malgré nous dans les CP, ils s’ennuient et souffrent au fil des jours de ne pas comprendre et de ne pas participer. Tout au long des années d’école élémentaire, ils affermiront leur rancœur à l’égard de l’écrit et par extension de l’enseignement. On reparlera d’eux en 6ième, voire au lycée, à coup sûr à l’ANPE, voire au tribunal.

82Pour l’ensemble de notre population expérimentale 1999-2000, (plus de trois cents enfants issus de 6 sites géographiques différents), le développement cognitif moyen des enfants en fin de GS s’est significativement accru: la note pondérée moyenne à la BP était à l’origine 10 par construction, elle est devenue 11 (histogramme de gauche, ci-dessous). L’engagement dans l’apprentissage de la lecture apparaît prématuré pour 11% des enfants de six ans, alors qu’il y a 17 ans, c’était le fait de 20% des enfants de six ans.

83Cette élévation globale du niveau des ressources pour apprendre à lire implique sans doute plusieurs facteurs, notamment le développement des stimulations culturelles extra scolaires partout de plus en plus riches.

84Précisons que le niveau moyen des performances à la BP diffère beaucoup d’un site à l’autre. La variation des taux de «prématurité» de l’engagement dans l’apprentissage de la lecture s’étend de 2 à 24% sans que la référence aux catégories socio-professionnelles puissent l’expliquer

85L’élévation du niveau implique huit des dix domaines inventoriés par la BP : langage-compréhension, langage-expression, discrimination phonologique, graphisme, mémoire, discrimination visuelle, rythme-copie, analyse-synthèse de constructions géométriques. Par contre, deux épreuves accusent une baisse du niveau moyen : articulation-parole et rythme-répétition. Pour ce qui concerne cette dernière, il s’agit peut être d’un effet de la vogue, passée depuis, des activités rythmiques dans les maternelles au cours des années 70 et 80.

86La baisse à l’épreuve Articulation-Parole est plus alarmante : ne s’agit-il pas avec l’essor de la fonction d’orthophoniste, d’un effet du moindre engagement des maternelles dans ce qui était, il y a quelques décennies, leur objectif majeur: développer le langage, parole et articulation comprises ?

87Pour l’ensemble de notre population expérimentale, (histogramme de droite, ci-dessus) la moyenne des notes pondérées à la BL qui était, par construction également 10 en 1983, n’est plus que 9,2 et 33 % des enfants ne savent pas lire alors qu’ils n’étaient que 25 % (lors de l’étalonnage de 83 utilisé pour ces comparaisons historiques).

88Ainsi, cognitivement mieux équipés au seuil du CP qu’en 1983, l’ensemble des élèves manifestent un an plus tard un niveau moyen de savoir lire inférieur à celui que leurs aînés obtenaient alors.

89— Une forte dispersion des résultats à la BL en fin de CP d’un site à l’autre.
Pour deux des sites, les élèves présentent une moyenne générale des notes pondérées légèrement supérieure à la moyenne nationale de 1983 (10,5 et 10,4). Pour les quatre autres en revanche, la baisse est alarmante. La plus faible performance issue d’un site (de l’Oise rurale) qui cependant n’est pas reconnu comme ZEP se caractérise par la note pondérée moyenne de 7,8 et 53% des élèves de ce site ne savent pas lire.

90— Des distributions bi-modales à la BL .
Alors qu’à la BP, au seuil du CP, les distributions des performances des enfants des divers sites étaient gaussiennes ou en i (les performances élevées étant alors les plus fréquentes) comme pour l’ensemble (histogramme de gauche), à la BL en fin de CP, toutes les distributions sont devenues bi-modales, comme pour l’ensemble (histogramme de droite). Tout se passe comme si, plus ou moins tôt dans l’année de CP, une dichotomie s’établissait distinguant les élèves qui plus ou moins suivent et ceux qui plus ou moins ne suivent pas. En conséquence, à son corps défendant, l’enseignant est amené à abandonner ceux qui ne suivent pas, avec la conviction qu’il ne pourrait les soutenir qu’en compromettant la progression des autres.

91Ainsi, c’est au moins dès le CP que l’école accroît les différences entre les enfants et donc qu’elle est élitiste. Les faibles y vivent, à l’échelle des minutes, l’expérience douloureuse de l’échec et y subissent notamment, comme nous l’avons déjà évoqué, une «vaccination» contre l’écrit.

92Il est certes bien légitime de satisfaire la demande culturelle des élèves forts, mais se consoler de l’abandon des faibles en pensant qu’ils auront encore un an pour apprendre à lire, c’est négliger les effets redoutables du conditionnement à l’échec et l’accroissem*nt de l’hétérogénéité des classes qui les rend ingouvernables.

93L’approche clinique des données révèle que dans les sites où l’enseignement présente un rendement faible, des élèves bien équipés au départ (qui se situent dans les premiers interdéciles à la BP) se retrouvent en fin de leur année de CP sévèrement déclassés à la BL. Ils rejoignent les enfants aux faibles ressources de départ. Les six enfants désignés dans les histogrammes (ci-dessous) ont perdu au cours de leur CP : 4, 5, 6, voire 7 interdéciles.

94De tels déclassem*nts n’apparaissent pas dans les classes au rendement élevé ou moyen, ou bien exceptionnellement, mais alors ces rares cas d’échec inattendu peuvent s’expliquer par l’histoire personnelle des enfants impliqués. Ici, de telles contre-performances ne peuvent s’expliquer que par une carence pédagogique.

95Une autre dispersion, intra-test, apparaît à la BL. Non seulement depuis la version 1983 le niveau de compétence en lecture-écriture a baissé globalement et pour ses trois composantes, mais les performances des élèves se distribuent autrement. Alors qu’en 83 les performances moyennes aux trois épreuves étaient les mêmes (10 par construction), la «compréhension de la lecture silencieuse» a mieux résisté à la baisse générale. En revanche, une infériorité importante apparaît aux deux autres épreuves, «orthographe phonétique, combinatoire» et «vitesse de la lecture orale» c’est-à-dire à celles qui évaluent la maîtrise de la transcription de la langue dont pourtant on ne peut nier qu’elles constituent les aspects fondamentaux du savoir lire (et écrire).

96Depuis son origine, qui remonte à 1972, l’Echelle Composite23 d’application collective et riche de ses onze épreuves pondérées, permet une analyse détaillée en mars et en juin de la compétence des écoliers du CP. Pour ce qui concerne l’échantillon représenté ci-dessous, les profils issus des différentes classes ont sensiblement la même forme et une épreuve apparaît, pour tous les profils, spectaculairement déficitaire: l’épreuve d’»orthographe muette» où il s’agit pour l’apprenant d’écrire, sous chacun des quinze dessins familiers proposés, le nom de ce qu’il illustre (sapin, bouton,... nœud). Ce déficit commun confirme la baisse sévère signalée par la BL à son épreuve OC (orthographe-combinatoire).

97Bruno Suchaut, de l’IREDU (Dijon), confirme expérimentalement l’inefficacité du redoublement du CP (15). Mais quelle est la cause de cette inefficacité ? La réponse que j’apporte vient de ma pratique de l’éthologie de l’écolier à sa table de travail, au sein de sa classe en fonctionnement banal, en train d’apprendre ou de ne pas apprendre à lire, éthologie que j’essaie inlassablement d’initier depuis trente ans. Il suffit en effet de mesurer, chez l’écolier en difficulté, la simple durée de ses séquences de regard attiré par l’écrit proposé par le maître à l’observation de tous ses élèves, pour constater qu’il ne regarde pratiquement jamais plus cet écrit dont ses premières rencontres, prématurées, dès la GS, lui ont été source de déception et de rancune. On comprend qu’il fuie la rencontre de ce qui le fait souffrir depuis si longtemps. On comprend aussi qu’il ne peut pas apprendre à lire sans regarder de l’écrit.

98Respectons désormais, dès la GS, l’heure et le rythme de tout enfant dont l’enseignant ou le psychologue ont vu qu’il se révélait immature à la BP, proposons-lui à longueur de journée des activités qu’il peut réussir (de préférence, celles-là mêmes de la progression bonne pour tous que ses camarades rapides ont réussi des mois auparavant). Certes on ne comblera pas son retard, mais on le réduira par rapport à ce qu’il deviendrait dans l’enseignement collectif et, surtout, ce retard ne sera pas accompagné d’un conditionnement à l’échec, car cet enfant aura vécu chaque jour sa ration de réussite et de plaisir. Son devenir d’écolier ne sera pas oblitéré.

Actualiser les tests ?

99Evaluer les performances d’un écolier à l’aide d’un instrument qui vient d’être étalonné permet de les situer parmi celles des enfants de son âge. Recourir à des témoignages objectifs du passé éclaire en outre les effets du temps qui passe, non seulement l’évolution des performances mais aussi ce qui la détermine : les changements, officiels on non, dans les valeurs, les objectifs, les méthodologies. Actualiser oui, mais sans rebuter.

Mieux connaître les écoliers

100On connaît mieux les fourmis que les écoliers: on les observe davantage. Faire la classe absorbe le pédagogue. Il est trop pris par la conduite des opérations qu’il dirige pour avoir une saisie objective des faits qui s’y déroulent. En outre, il n’est pratiquement jamais témoin dans la classe de ses collègues et il n’a pratiquement jamais de témoins dans la sienne. Aussi, il n’est pas si bien placé qu’on croit pour caractériser ce qui s’y passe.

101Cependant, le séjour d’un observateur qualifié dans une classe demeure «tabou». Non pas que le praticien lui ferme sa porte: il accueille volontiers qui est en mesure de l’éclairer. La résistance, a priori, vient des observateurs potentiels. Certes le laboratoire est plus confortable que le terrain. Cela suffit-il à expliquer pourquoi le terrain est déserté ? Qu’il soit formateur de formateurs, médecin scolaire, administrateur, inspecteur, chercheur de laboratoire, etc, personne n’éprouve l’urgente nécessité de venir recueillir objectivement, sur le terrain de la classe en fonctionnement banal, des faits d’enseignement-apprentissage. Personne n’éprouve le besoin d’être une heure durant témoin discret de tel écolier au sein de l’action pédagogique ordinaire à laquelle, comme tous les autres, il est invité à participer.

102Aussi, les rapports dits scientifiques impliquant des enfants-écoliers sont-ils en général entachés d’«artefacts», fondés qu’ils sont sur des ambiguïtés: les «faits» sont décrits à partir des propos des maîtres. Par exemple, lorsque Bruno Suchaut, jeune chercheur d’une grande rigueur expérimentale, constate «la difficulté de l’administration [de l’Education Nationale] à faire appliquer les textes officiels [à propos des horaires] et notamment des différences notables entre les classes (le temps hebdomadaire consacré au français varie de 6 à 16 heures)»24 il n’a pas recueilli de faits en direct. Ces temps hebdomadaires, il les a calculés à partir des déclarations des maîtres qu’il a interrogés. Or, bien qu’éventuellement sincères, ces déclarations n’expriment pas la réalité. Le concept d’observation sur le terrain scolaire demeure ambigu.

103Mes observations du terrain en direct et en gros plan, facilement répétables, révèlent que le temps hebdomadaire qu’un maître de CP consacre à l’acquisition de la lecture-écriture est présentement d’environ 7 heures et varie peu d’une classe à l’autre.

Instituer une éthologie de l’écolier à son poste de travail

104Le mauvais lecteur n’aime pas l’écrit et on comprend pourquoi : comment aimer ce qui humilie, fait souffrir! Dans la recherche des causes de l’échec scolaire, toutes les enquêtes affichent les mêmes causalités : hérédité, intelligence, caractère, personnalité, classe sociale, problèmes familiaux, accidents de santé. Quant à la rigueur l’école est impliquée, c’est affaire d’effectif, de locaux, de rythme biologique. La cause que nous estimons principale, l’enseignement, et précisément la leçon collective, n’est jamais mise en cause25.

105Précisons les modalités de notre observation «en direct et en gros plan» de tel et tel apprentis, chacun à sa table de travail, au sein de la classe en fonctionnement banal animée par son maître.

Temps brut, temps fécond, taux de temps fécond

106Assis dans un couloir latéral de la classe, je ne quitte pas des yeux l’élève que j’observe. J’appelle «temps brut» le temps que le maître de CP consacre à l’apprentissage de la lecture-écriture par ses élèves. Sans porter ici de jugement de valeur sur la pédagogie d’autrefois, je constate qu’en trente ans ce «temps brut» annuel s’est trouvé réduit, en moyenne, de plus de 400 heures (38 fois les 11h 20mn de l’horaire officiel) à 250 heures (36 fois 7 h).

107J’appelle «temps fécond» une partie de ce «temps brut» : la durée cumulée des regards de l’écolier attirés par de l’écrit, quel que soit son support (tableau, livre, feuille…), que l’écolier le produise ou qu’il considère celui que le maître propose à tous de regarder. Le «taux de temps fécond» est simplement le «temps fécond» rapporté au «temps brut»: t° de TF = TF / TB x 100.

108Espérant initier une éthologie de l’écolier, j’ai naguère montré expérimentalement (1. p.85) et souvent confirmé depuis, que ces indices étonnamment variables, d’un enfant à l’autre et plus encore d’une classe à l’autre, étaient des indicateurs fiables bien qu’à prise rapide du rendement de l’enseignement-apprentissage de la lecture-écriture: plus les regards de l’élève attirés par l’écrit sont durables et fréquents, mieux il tire profit de ses ressources cognitives de départ, notamment évaluées par la BP.

109De nos jours, seul un accroissem*nt du «taux de temps fécond» pourrait rendre suffisant le «temps brut» réduit. Or, il suffit de séjourner dans des CP, une heure durant consacrée à l’apprentissage de la lecture, grille minutée et crayon en main (voir, ci-dessus, une copie réduite de la grille dont je me sers), de ne pas quitter des yeux un, ou mieux deux, voire trois élèves contrastés, pour constater que «temps fécond» et «taux de temps fécond» ne s’accroissent pas, au contraire. On comprend que, désormais, seuls les élèves «forts», favorisés par la nature et/ou la société peuvent apprendre à lire l’année de leur CP.

Multiplier les Rased

110C’est l’occasion de lancer une fois de plus un appel en faveur du développement d’une éthologie de l’écolier à son poste de travail, développement qui pourtant serait immédiatement possible grâce au Rased dont la vocation se cherche. Il suffirait que chaque groupe scolaire possède son équipe d’aide psychopédagogique pour que psychologue et rééducateur(s) soient libérés de leurs missions de déambulation, de dépistage et d’infirmerie psychiatrique. Pour l’instant, le psychologue n’a pas le temps d’entreprendre, à travers une observation objective, ce que tel enfant-écolier fait, ou ne fait pas, de ses ressources qu’éventuellement il connaît bien pour les avoir analysées dans son bureau-laboratoire.

111Enfin affecté à un seul groupe scolaire, il connaîtrait chaque élève depuis son arrivée dans l’école. Libéré des rôles qui l’accaparent de plus en plus et qui consistent surtout à mettre à la sauvette du baume sur les souffrances mentales des écoliers, de leurs parents et de leurs maîtres, il redeviendrait disponible pour assurer sa vocation initiale d’antenne, sur le terrain, du laboratoire de psychologie pédagogique de l’université voisine.

Des résultats de la pédagogie régnante à ses caractéristiques

112Revenons à nos données récentes : à la BL, la baisse du rendement de l’enseignement-apprentissage de la lecture-écriture au CP est générale, la bi-modalité «ségrégative» de la distribution des performances est commune à tous les sites, l’infériorité sévère aux deux épreuves de la BL qui évaluent les modalités de la transcription de la langue, ainsi que la régression des performances à l’épreuve d’orthographe muette de l’Echelle Composite sont communes à tous les CP.

113Ces similitudes d’évaluations négatives concordantes chez les enfants de six/sept ans excluent la mise en cause habituelle de la santé, du sommeil, des conflits dans l’entourage familial, de la violence, etc. De telles similitudes impliquent nécessairement la mise en œuvre de la pédagogie pratiquée.

Qu’en est-il de cette pédagogie ?

114En dépit des instructions officielles, son aspect didactique se caractérise presque partout par une coulée verbale d’informations destinée à tous les élèves de la classe en même temps. Faute de disposer d’un équipement de supports didactiques appropriés, l’enseignant, quoi qu’on dise et indépendamment de ses intentions, est contraint de perpétuer l’enseignement collectif à vitesse unique.

115Précisons que l’enseignement collectif que nous condamnons se caractérise en cela que chaque matin, quels qu’aient été les événements de la veille, c’est à tous les élèves que le même contenu d’étude est d’abord proposé, à ceux qui ont souffert du contenu de la veille comme à ceux qui en ont tiré du plaisir.

116Tant que dans l’enseignement qui nous préoccupe, on ne renoncera pas à cette proposition journalière d’un contenu d’étude commun à la classe, il ne saurait être question de «pédagogie différenciée». Il s’agira toujours de l’enseignement simultané plus que centenaire. Nous verrons qu’avec l’enseignement personnalisé, tout contenu d’étude est conçu pour être approprié à chaque élève, mais tôt ou tard, normalement à des mois de distance pour le lent et pour le rapide.

117Nos fraîches données chiffrées ne sont pas l’effet du hasard mais de la pédagogie quasi officielle, vantée ici et là depuis une à deux décennies, et dont on peut dégager quelques principes :

  • Le culte de la profusion (déjà évoqué). La plupart des apprenants se noient dans le flou perceptif que génère le «grand bain d’écrits» à la mode, qu’il provienne des pages d’un manuel ou de la transcription par le maître sur les tableaux et les murs du «vécu commun» de la classe. A ce régime, les enfants de CP ont rencontré des centaines de mots à Noël, mais la plupart n’en ont «photographié» aucun.

  • L’apologie de la communication, hélas illusoire tant qu’on néglige qu’elle réclame l’échange et dépend donc de l’acquisition partagée des moyens de communication.

  • L’escamotage de fait de l’apprentissage, ce qu’illustre le fameux «on apprend à lire en lisant» et l’évocation des relations «grapho-phonétiques». Redisons que cette expression peut à la rigueur caractériser des faits de lecture, mais non pas d’apprentissage de la lecture lequel implique la conquête des relations inverses phonème(s)-graphème(s) et est ici escamoté.

  • Le mépris du crayon et des moyens de contrôle en général (quel enseignant connaît et/ou ose recourir au procédé Lamartinière ?).

  • L’affrontement prématuré des apprenants à des textes qui les poussent à deviner et non à exercer leurs connaissances naissantes de la combinatoire.

  • La dislocation de l’emploi du temps et l’illusoire prétention corrélative : «on fait de la lecture tout le temps».

  • Le dédain de la rigueur, comme si le sens d’un mot ou d’une phrase pouvait être autre que ce qu’il est, comme s’il était sans conséquence fâcheuse de pousser à écrire celui qui ne sait pas : «écris comme tu veux, ça ne fait rien si tu fais des fautes».

118Rappelons qu’à ce régime, 33 % des enfants français de 7 ans plus ou moins 6mois, en fin de CP, ne savent pas lire alors qu’ils n’étaient que 25 % en 1983.

119Sur les chemins de ces échecs, on risque toujours de rencontrer le très vieux problème de la «dyslexie». Cette mauvaise rencontre m’a été imposée tout au long de ma carrière. Déjà, en qualité d’étudiant, au laboratoire de psychobiologie de l’enfant à l’hôpital H.Rousselle, j’ai eu à observer mes aînés qui exploraient la «boite noire» de nombreux «dyslexiques» de 9/10 ans. C’est là que, déçu par leur vaine tentative de guérir, m’est venue l’inspiration de la Batterie Prédictive destinée à prévenir.

120Par la suite, j’ai été amené à critiquer le concept de dyslexie présenté par P. Debray-Ritzen26, à contester expérimentalement la rétro-action du portrait-robot du dyslexique de 9/10 ans qu’on attribue sans preuve à l’enfant qu’il était à l’âge cinq ans et dont on fait une cause de son échec scolaire alors qu’il en est probablement l’effet : cinq cents jours de souffrance d’un écolier plongé dans un enseignement indigent, n’est-ce pas suffisant pour altérer sa personnalité ?

121J’ai même recherché (en vain) les éventuels germes de la maladie «dyslexie» que déjà on disait préexister à l’apprentissage de la lecture lequel ne ferait que la révéler27.

122Aujourd’hui, le rapport de l’inspecteur d’académie J-Ch Ringard (2000), rédigé en réponse à la demande de Ségolène Royal ministre qui, prudemment évoquait le problème d’un nécessaire meilleur développement du langage à l’école maternelle et non celui de la «dyslexie», suscitent mon commentaire critique diffusé par ailleurs:
http://perso.wanadoo.fr/​andre.inizan.

123Que les études inspirées de l’actualité et le travail en groupes fortuits aient des vertus éducatives dans le cadre des matières scolaires chargées de développer les qualités physiques, relationnelles, altruistes, esthétiques, fort bien. Mais, pour ce qui concerne l’apprentissage des matières les plus cognitives, notamment l’acquisition et la maîtrise des langages (verbal ou mathématique), cessons de proposer tout contenu d’étude commun. En particulier, lorsqu’il s’agit d’apprendre à lire, deux critères de distinction que je propose inlassablement me paraissent autrement importants que la distinction traditionnelle des méthodes :

124Pratique-t-on une pédagogie-soufflage ou bien aide-t-on les apprenants à extraire pas à pas les invariants constitutifs de la combinatoire à partir d’écrits signifiants, sélectionnés et «photographiés» ?
Pratique-t-on une pédagogie frontale et collective (simultanée), ou bien une pédagogie personnalisée, c’est-à-dire respectueuse de l’heure et du rythme de chaque élève ?

125Le présentateur du Journal de 20 heures est malheureusem*nt devenu un modèle pour les enseignants, comme si le meilleur enseignant était celui qui explique le mieux, c’est-à-dire celui qui dispense le mieux de chercher et de découvrir ?

126Bien entendu, n’en déplaise aux détracteurs de «recettes», il s’agit d’équiper les enseignants non plus de manuels, supports de la leçon dogmatique et collective, mais de dispositifs didactiques fondés sur la minutieuse progressivité des connaissances et la préparation de la découverte des notions et des règles.

127Ce qui motive chaque apprenant en tout domaine, c’est le plaisir de découvrir (comprendre c’est encore découvrir). Or, comme nul ne découvre sur commande, ne confrontons «faibles» et «forts», à l’échelle des minutes, qu’à des tâches ajustées aux possibilités de découvertes de l’un et de l’autre, donc au même moment différentes. Il est urgent de passer de l’enseignement frontal et simultané, toujours pratiqué partout quoi qu’on dise, à l’enseignement personnalisé au sein de la classe, c’est à dire respectueux de l’heure et du rythme de chacun.

128Bref, la baisse du rendement de l’apprentissage scolaire le plus fondamental confirme l’urgence de proposer aux enseignants à la place des manuels (supports de l’anachronique leçon collective), des dispositifs didactiques qui assurent à l’échelle des minutes le plein emploi des possibilités de tous les élèves, la réussite de chacun, retardé ou avancé, rapide ou lent et, par suite, le maintien de sa motivation et la promotion de son autonomie.

129Par souci de réalisme et pour montrer que c’est possible, nous avons élaboré, expérimenté et édité un tel ensemble de dispositifs didactiques.

130Avec ses mille unités de travail papier-crayon, ses 52 jeux coordonnés, sa collection progressive intégrée de 22 mini-livres sonores et parlants, ses dispositifs de contrôles et tout d’abord son sous-programme d’«activités préalables» dépourvu de langue écrite et qui développe en amont les ressources cognitives pour apprendre à lire, notre ensemble est volumineux, bien que limité à un seul apprentissage et à sa préparation: «Apprendre à lire et s’y préparer à son heure et à son rythme» (en abrégé «2as», désignation fondée sur ce jeu de mots).

131Alors que cet ensemble ne prétend pas à l’exclusivité sur son créneau (le Cycle 2), il reste, au moins pour les matières fortement cognitives, beaucoup à faire à ce niveau et à tous les niveaux suivants, jusqu’au lycée compris.

132Sans aucun doute imparfait, notre ensemble «2as» est boycotté pour des raisons inavouées. Par suite, bien que publié et diffusé, de façon imparfaite il est vrai et mis en œuvre de façon également imparfaite (ici, dans une GS mais sans suite, là dans un CP mais sans préparation en GS), 2as ne connaît pas un usage notable lui permettant de se perfectionner et notamment de générer une version informatisée totale ou partielle à laquelle il se prête évidemment et qu’il réclame.

133Notons toutefois qu’en dépit du boycott, les journaux télévisés des chaînes nationales ont coup sur coup (F2, le 21 mars à 13h et Fr3 Picardie le lendemain à 19h) montré des apprentis lecteurs travaillant avec «2as».

134Elles assurent le développement des pré-requis pour apprendre à lire. Avec «2as», dès le début de l’année, la GS constitue ses équipes, chacune regroupant les élèves les plus voisins dans leurs ressources cognitives. Désormais, grâce à la Batterie Prédictive Abrégée, ce regroupement est à la portée de l’enseignant. L’administration de la BPA ne lui demande qu’une demi-heure pour chaque moitié de sa classe.

135Dès lors, le sous-programme des «activités préalables» (dépourvues de langue écrite) permet à chaque enfant à raison d’une demi-heure par jour, de développer et d’harmoniser ses habiletés pour apprendre à lire.

136A l’issue des «activités préalables», chaque élève, plus ou moins tôt dans son année de GS, aborde l’apprentissage proprement dit de la lecture-écriture et va progressivement y consacrer une heure par jour, à travers une alternance d’exercices papier-crayon (réalisés en solitaire) et de jeux coordonnés (avec son partenaire habituel).

137En septembre, l’entrée au CP de la classe entière, assure à chaque élève la simple continuation du travail amorcé en GS, désormais à raison d’une heure et demie, voire à deux heures par jour.

138Bien que relevant de la théorie de la «méthode naturelle» qui constitue nous l’avons montré un progrès psychologique considérable, la pratique de «2as» se situe à l’opposé du libéralisme sauvage à la mode. Rejetant le «b,a,ba», «2as» amène l’apprenti-lecteur, à partir de son observation d’écrits signifiants, à découvrir les modalités de la transcription de sa langue, les invariants phonème(s)-graphème(s). Voici comment :

  • Les écrits de départ (pour apprendre à lire), sélectionnés pour leur rentabilité, sont signifiants, familiers, sobres d’écriture et proposés en très petit volume à la fois.

  • Par étapes, ces écrits se fixent en mémoire grâce à une alternance d’exercices papier-crayon minutieusem*nt progressifs et de jeux (de mémorisation) coordonnés à ces exercices. Dès que «photographiés», ces écrits signifiants deviennent des matériaux féconds de confrontation, d’analyse et de découverte.

  • Exploités méthodiquement, ils offrent le moment venu l’occasion à chaque apprenant (toujours au sein de son équipe d’élèves de même force) de découvrir les fameux invariants phonème(s)-graphème(s). Cette découverte des éléments de la combinatoire et leur investissem*nt dans la saisie et la production d’écrits nouveaux se fait également à travers une alternance d’exercices écrits (en solitaire) et de jeux coordonnés (de traitement) régulièrement pratiqués par deux partenaires de même force.

139Enfin, dès la deuxième étape du programme qui en comporte six, le savoir lire naissant est investi par chacun individuellement dans la saisie progressive d’une collection de vingt-deux mini-livres pour le plaisir. Chaque mini-livre (que l’apprenti affronte sans audition préalable de sa lecture) est auto-contrôlé par la médiation du livret «ai-je bien lu?», puis la maîtrise de son contenu est confortée par l’écoute sous le casque du texte du mini-livre délivré sur fond musical.

140L’ensemble des «activités préalables» et de l’apprentissage proprement dit est prévu pour s’étaler, pour un élève moyen, sur les deux premières années du Cycle 2 (GS et CP). Quelques élèves au développement intellectuel très lent peuvent, pour terminer le programme, soit doubler le CP où ils seront alors en septembre suivant les plus avancés, soit passer au CE1 où leur fin d’apprentissage sera protégée. Leur retard sans doute initié en maternelle, sera sans grave conséquence car ils n’auront pas vécu l’échec, ayant réussi chaque jour, bien que plus ou moins lentement, les mêmes activités que les rapides et de la même façon formatrice, par découvertes.

141L’enseignant «2as» est équipé d’avance et pour l’année des supports didactiques appropriés, personnalisables, imprimés pour l’essentiel. Ils comprendront demain une part d’informatisation intégrée.

142Alors qu’il n’est plus animé de la folle ambition de devoir tout créer, il a assez à faire à mettre en œuvre ces dispositifs révolutionnaires. Il en a acquis la maîtrise au cours de sa formation professionnelle. Il a vite reconnu l’importance formatrice du contenu du programme. Il ne jalouse nullement l’improvisation à partir de l’actualité qui demeure le pain quotidien de ses aînés. Il a compris que l’actualité dont ils font tant de cas, ignore tout de la progressivité de l’apprentissage et de la diversité des possibilités des élèves. Cependant, chaque jour, il lui reste assez de temps pour les activités moins ardues pour lesquelles il peut sans risques recourir lui aussi à l’enseignement collectif à travers le vécu commun d’actualité.

143Cependant, pour que ce mouvement révolutionnaire démarre, il faut que d’autres ensembles didactiques personnalisables, impliquant notre domaine (l’apprentissage de la lecture-écriture) et d’autres domaines de même niveau (l’apprentissage des mathématiques) puis des niveaux suivants, atteignent une masse décisive.

144On est loin du compte : le constat du rendement indigent de l’enseignement actuel dans les CP est toujours contesté par les responsables de l’Institution et le collège cherche, forcément en vain, à vaincre l’échec scolaire qui l’assaille et dont il répugne, par solidarité de corps, à situer la source loin en amont.

145Or, on ne prend pas le train en marche, même s’il conduit à la promotion du rendement de l’enseignement. Il faut commencer par le commencement. Faute d’un consensus pour un démarrage significatif de la personnalisation de l’enseignement au niveau de la préparation du premier apprentissage scolaire (en GS donc), une mutation dans la théorie et la pratique de l’enseignement aux niveaux suivants ne peut pas s’installer.

146Pourtant, le monde pédagogique, toujours prêt à imiter les propositions françaises, même les plus farfelues (telle la plongée prématurée des enfants dans le «grand bain d’écrits» ou encore la préférence de l’écriture attachée pour les débutants), ne serait pas surpris de devoir le déclenchement de cette mutation féconde à la France inventeur de l’école publique.

147Préfère-t-on la banalisation de n’importe quelle informatique qui signera l’avènement, pour de vrai cette fois, quarante ans après le livre d’Yvan Illitch, d’ «Une société sans école»?

Témoignage séditieux sur les sources de l’échec scolaire (2024)

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